Nous étions un jeudi. Le ciel était gris. La terre était couverte de neige et d'épais flocons continuaient à tourbillonner lorsque Séraphin engagea notre conversation dans une clairière, près de son petit ermitage face à la rivière Sarovka qui coulait au pied de la colline. Il me fit asseoir sur le tronc d'un arbre qu'il venait d'abattre et lui-même s'accroupit en face de moi.
(Il a abattu un arbre, d'accord, mais un peu de bois pour un peu de chaleur n'est pas grand péché)
- Le Seigneur m'a révélé, dit le grand starets, que depuis votre enfance vous désiriez savoir quel était le but de la vie chrétienne et que vous aviez maintes fois interrogé à ce sujet des personnages même haut placés dans la hiérarchie de l'Église.
Je dois dire que dès l'âge de douze ans cette idée me poursuivait et qu'effectivement j'avais posé la question à plusieurs personnalités ecclésiastiques sans jamais recevoir de réponse satisfaisante. Le starets l'ignorait.
(Une existence sans courber l'échine et sans donner le knout)
- Mais personne, continua Séraphin, ne vous a rien dit de précis. On vous conseillait d'aller à l'église, de prier, de vivre selon les commandements de Dieu, de faire le bien - tel, disait-on, était le but de la vie chrétienne. Certains même désapprouvaient votre curiosité, la trouvant déplacée et impie. Mais ils avaient tort. Quant à moi, misérable Séraphin, je vous expliquerai maintenant en quoi ce but consiste.
Après avoir prononcé ces paroles, je levai les yeux sur son visage et une peur plus grande encore s'empara de moi. Imaginez-vous, au milieu du soleil, dans l'éclat le plus fort de ses rayons de midi, le visage d'un homme qui vous parle. Vous voyez le mouvement de ses lèvres, l'expression changeante de ses yeux, vous entendez le son de sa voix, vous sentez la pression de ses mains sur vos épaules, mais en même temps vous n'apercevez ni ses mains, ni son corps, ni le vôtre, rien qu'une étincelante lumière se propageant tout autour, à une distance de plusieurs mètres, éclairant la neige qui recouvrait la prairie et tombait sur le grand starets et sur moi-même. Peut-on vraiment se représenter la situation dans laquelle je me trouvais alors ?
- Que sentez-vous maintenant? demanda Séraphin.
- Je me sens extraordinairement bien.
- Comment " bien "? Que voulez-vous dire par " bien " ?
- Mon âme est remplie d'un silence et d'une paix inexprimables.
Séraphin ne passait pas tout son temps au sommet d'un roc à contempler le monde tel qu'il allait alors.
Il lui arrivait de nourrir les gentils ours de la forêt russe. Oeil bleu et œil brun savaient se rencontrer.
Séraphin et François d'Assise sont mes saints préférés (tant qu'à faire), car tous deux aiment les animaux.