De retour à Naxos, un bâtiment battant pavillon de la marine grecque m'invita à son bord, et me porta jusqu'à Mykonos désertée par la horde habituelle des touristes en culottes courtes.
Trois jours dans l'île à relire mes notes. Sur ces entrefaites, j'obtins une sorte de sauf-conduit qui m'autorisa à m'embarquer pour Délos à la rencontre d'une équipe archéologique internationale qui fouille sans relâche les entrailles de la terre depuis un quart de siècle. C'est Maria, rencontrée l'an dernier à Delphes, belle brune trentenaire, yeux mutins, voix profonde, docteur ès lettres – sa thèse, soutenue à Tübingen, porte, dans l'esprit de Hugo Friedrich, sur la poésie moderne –, habilement formée aux langues qu'on appelle anciennes, qui s'offrit de m'accompagner dans les menus dédales au fort du soleil.
Sur le ponton de la chaloupe, j'entrevis déjà la côte. Le rameau d'olivier au-dessus du gouvernail. Rien n'avait changé. J'ouvris mon carnet. Mes notes, prises au vif, sont, littéralement, extravagantes :
« Le jour et la nuit sont les voyageurs de l'éternité. Ceux qui pilotent un bac ou mènent tous les jour leur cheval aux champs jusqu'à ce qu'ils succombent sous la vieillesse voyagent aussi continuellement. Bien des hommes de l'ancien temps sont morts sur les routes. J'ai été tenté à mon tour par le vent qui déplace les nuages, et pris du désir de voyager aussi... »
J'aime ce : « J'ai été tenté à mon tour ». L'errance et ses détours...
Encore : « Il naquit à Cynoscéphales, faubourg de Thèbes, au mois d'août, dans la troisième année de la soixante-cinquième Olympiade... »
Au débarcadère, un gentil chien roux m'a prié de me laisser faire. Une demi-heure plus tard, sous la braise héréditaire, pendant que l'aimable Argos qui jappait au voisinage s'en était allé renifler un champ de fidèles fleurs pourpres dans le tintamarre précipité des truelles, des pioches et des brouettes que l'on poussait vers l'exploit, qui jeune new-yorkais, Namibien, Suisse romand, Chinois de Shanghai ou Coréen de Séoul, nous nous glissâmes, Maria et moi, parmi les cailles et les lièvres, dans les glorieuses fissures du sanctuaire d'Apollon.
Ce baiser brûlant qui réjouit l'existence nous rendit fous. Délos, l' « vidente » comme jamais. Les lions, protecteurs ornementaux, confiés à la prophétie du cristal, remuaient de plus belle.
Enlacés, nous reprîmes notre déambulation curieuse d'un solarium l'autre. Dans un couloir distant où bourdonnait un essaim d'abeilles affranchies de la ruche, nous butâmes soudain contre un carreau d'angle recouvert d'un large béret de feutre noir.
Je dis : « Mais c'est le chapeau de Martin ! »
Préservé des interminables périodes de sécheresse et du vent violent, ce fragile effet témoignait au regard du temps oppresseur. Martin aurait-il voulu nous faire signe ?
Oui, je me suis souvenu. Tout alentour se levait. Maria m'attira de nouveau vers elle. Sa main, très douce, le long de ma joue.
La surprise du purement présent.