16 septembre 2015 3 16 /09 /septembre /2015 06:00

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Impair et passe...

 

Loteries, courses hippiques, tombolas, jeux télévisés, matchs (à peine truqués) de football, pronostics météorologiques, ça n'en finit plus. La misère mondialisée est telle, la misère psychique très à l'évidence, que le premier pékin venu, blanc ou noir de peau, parie sur tout et le contraire de tout. Se faire du « fric » par tous les moyens. Beau temps sur la planète.

Pendant ce temps-là, du perron de leurs ministères, les édiles enturbannés pérorent, bougeant à peine le petit doigt, sur le  sort des « migrants » que la décence lexicale la plus élémentaire devrait appeler « exilés ». Ces chemineaux sans foyer, pour autant que leurs destins apatrides ne virent pas au naufrage, livrés la plupart du temps à eux-mêmes, n'ont pas la chance – somme toute relative à la lumière d'une lecture introspective de l'histoire –, de pouvoir disposer, comme hier leurs frères émigrés, d'un passeport Nansen.

Sur un plateau ardéchois, à l'abri, mais très informé en temps réel de ces convulsions jaillies de sombres programmes. D'Aubenas à Mende, rien qu'un ciel somptueux en surplus d'éclaircie. Tome de brebis, pain au levain du levant, vin rubis des neiges. Une chouette par ci, un aigle planant par là. Aux anges.

Dans un repli de rocaille, j'ouvre le livre :

« Au clair de la lune, près de la mer, dans les endroits isolés des campagnes, l’on voit, plongé dans d’amères réflexions, toutes les choses revêtir des formes jaunes, indécises, fantastiques. L’ombre des arbres, tantôt vite, tantôt lentement, court, vient, revient, par diverses formes, en s’aplatissant, en se collant contre la terre. Dans le temps, lorsque j’étais emporté sur les ailes de la jeunesse, cela me faisait rêver, me paraissait étrange ; maintenant, j’y suis habitué. Le vent gémit à travers les feuilles ses notes langoureuses, et le hibou chante sa grave complainte, qui fait dresser les cheveux à ceux qui l’entendent. Alors, les chiens, rendus furieux, brisent leurs chaînes, s’échappent des fermes lointaines ; ils courent dans la campagne, ça et là, en proie à la folie. Tout à coup, ils s’arrêtent, regardent de tous les côtés avec une inquiétude farouche, l’œil en feu ; et, de même que les éléphants, avant de mourir, jettent dans le désert un dernier regard au ciel, élevant désespérément leur trompe, laissant leurs oreilles inertes, de même les chiens laissent leurs oreilles inertes, élèvent la tête, gonflent le cou terrible, et se mettent à aboyer, tour à tour, soit comme un enfant qui crie de faim, soit comme un chat blessé au ventre au-dessus d’un toit, soit comme une femme qui va enfanter, soit comme un moribond atteint de la peste à l’hôpital, soit comme une jeune fille qui chante un air sublime, contre les étoiles au nord, contre les étoiles au sud, contre les étoiles à l’ouest ; contre la lune ; contre les montagnes, semblables au loin à des roches géantes, gisantes dans l’obscurité ; contre l’air froid qu’ils aspirent à pleins poumons, qui rend l’intérieur de leur narine, rouge, brûlant ; contre le silence de la nuit ; contre les chouettes, dont le vol oblique leur rase le museau, emportant un rat ou une grenouille dans le bec, nourriture vivante, douce pour les petits ; contre les lièvres, qui disparaissent en un clin d’œil ; contre le voleur, qui s’enfuit au galop de son cheval après avoir commis un crime ; contre les serpents, remuant les bruyères, qui leur font trembler la peau, grincer les dents ; contre leurs propres aboiements, qui leur font peur à eux-mêmes ; contre les crapauds, qu’ils broient d’un coup sec de mâchoire (pourquoi se sont-ils éloignés du marais ?) ; contre les arbres, dont les feuilles, mollement bercées, sont autant de mystères qu’ils ne comprennent pas, qu’ils veulent découvrir avec leurs yeux fixes, intelligents ; contre les araignées, suspendues entre leurs longues pattes, qui grimpent sur les arbres pour se sauver ; contre les corbeaux, qui n’ont pas trouvé de quoi manger pendant la journée, et qui s’en reviennent au gîte l’aile fatiguée ; contre les rochers du rivage ; contre les feux, qui paraissent aux mâts des navires invisibles ; contre le bruit sourd des vagues ; contre les grands poissons, qui, nageant, montrent leur dos noir, puis s’enfoncent dans l’abîme ; et contre l’homme qui les rend esclaves. Après quoi, ils se mettent de nouveau à courir la campagne, en sautant, de leurs pattes sanglantes par dessus les fossés, les chemins, les champs, les herbes et les pierres escarpées. »

La nature parle à la nature. Un peu d'ordre dans la confusion totale. Enfin, pour qui sait lire...

 

 

 

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